De l’identité à la mémoire (présence de l’absence).

« Je ne « me ressemble » que dans un visage toujours absent à moi et au dehors de moi, non comme un reflet mais comme un portrait porté au devant de moi, toujours en avance sur moi. »[1]Lorsqu’il est question de son identité, il est aussi souvent question de sa mémoire. En effet l’identité d’un individu, en plus de s’appuyer sur l’altérité, repose sur ses expériences emmagasinées dans sa mémoire ainsi que sur la mémoire collective que constitue la culture à laquelle on appartient (par tradition ou  par désir). « Pour les groupes, la prise de conscience d’éléments partagés au cours d’une histoire commune génère le sentiment d’identité. L’identité collectives de groupes larges peut prendre naissance lorsque les membres du groupe prennent connaissance de leur histoire collective. »[2]. L’histoire collective, c’est la mémoire, une mémoire, au même titre que notre propre mémoire elle agit sur la formation de l’identité, elle en est un sous – bassement. Elle agit aussi bien sur l’identité collective que sur l’identité personnelle.Lorsque je me vois en photo, je vois un portrait de moi qui n’est pas moi, je vois mon absence. C’est pour cela que Cindy Sherman peut dire qu’elle  ne se reconnaît pas lorsqu’elle utilise son visage dans son œuvre. Elle n’y voit pas un autoportrait mais un portrait de quelqu’un qui n’est pas elle. Le cliché photographique a mémorisé une présence passée et nous présente son absence. Le tirage photographique actualise un souvenir, une trace du passé, une mise au présent de l’absence. L’absence, c’est une mémoire, un éloignement de soi, une mise à distance. La formation de l’identité « commence là où cesse l’utilité de l’identification »[3], l’identité personnelle se forme lorsqu’une mise à distance suffisante permet de se positionner par rapport à autrui et à soi-même. Il nous faut trouver la bonne distance affective. Ce qui a perdu Narcisse[4], c’est de ne pas avoir su trouver cette distance affective, de ne pas permettre à son image d’être absente à lui-même. Il n’a pas réussit à se contenter du souvenir de son image absente, la mémoire lui a fait défaut. Ou plus exactement il n’a pas virtualisé l’image reflet de lui-même pour en faire un élément de mémoire capable d’être actualisé par le souvenir qui rend présent l’absent. 

[1] Jean-Luc Nancy, Le regard du portrait, Paris, Ed. Galilée, 2001, p. 48.
[2] Alex Mucchielli, L’identité, Paris, Ed. PUF(4ème Ed.), 1999, p. 70.
[3] Alex Mucchielli, L’identité, Paris, Ed. PUF(4ème Ed.), 1999, p.76.
[4] je fais référence ici au Narcisse de Ovide dans les Métamorphoses « Narcisse et Echo ».