En parlant de l’œuvre de Nan Goldin,
Guido Costa écrit : « Même dans ce qu’elle a de plus cru et de
plus marginal, sa photographie parvient à utiliser des archétypes communs, des
mémoires collectives, des histoires avec lesquelles la plupart d’entre nous
peuvent s’identifier. »[1].
La recherche sur l’identité que poursuit Nan Goldin à travers ses photographies
est liée à une recherche plus globale sur la vérité, peut-être initiée par le
mensonge que ses parents tenteront de lui faire croire à propos de la mort de
sa sœur Barbara en 1965. Sa sœur s’est suicidée à l’âge de dix-huit ans, et
ses parents, refusants d’admettre la vérité, diront alors à Nan qu’elle fut
victime d’un accident. C’est à cette époque que Nan quitte la maison familiale
et commence à prendre des photographies. Etudiante au Boston College of Art,
elle présente ses photographies sous la forme de slide shows, des séances
de diapositives, c’est sous cette forme que l’œuvre de Nan Goldin prend à mon
avis tout son sens. Les portraits qu’elle présente à travers ces slide shows
tentent de cerner des identités individuelles mais aussi une identité communautaire
ou plus précisément des identités individuelles à travers une identité communautaire.L’identité communautaire
construit l’identité individuelle à travers un sentiment d’appartenance à un
groupe qui possède ses valeurs, sa culture. Installée à New York, Nan Goldin
photographie les personnes plus ou moins proches d’elle, il y a toujours un
côté affectif et donc subjectif dans ses photographies. Ses portraits sont ceux
de ses amis, des personnes avec qui elle est en relation, de ses amants.
Dans ses premières photographies, la prise de vue est spontanée et dévoile l’intimité,
le quotidien de ses proches, The ballad of Sexual Dependancy en est
certainement le plus illustre exemple. Contenant des milliers de clichés et
présentée sous forme de slide shows, la ballad présente aussi
bien des portraits individuelles ou de groupes que des scènes plus intimes ou
des nus. Contrairement aux portraits picturaux de la renaissance qui utilisait
le principe du défaut atténué pour mettre en valeur les personnes portraiturées,
les portraits de Nan Goldin sont crus, mais témoignent tout de même d’une esthétique
qui lui est propre, esthétique plus flagrante dans ses travaux récents où l’on
ressent à travers ses clichés une volonté plus affirmée d’établir une composition
et des jeux de lumières. La volonté de Nan Goldin d’affirmer des compositions
et de réaliser des photographies de plus en plus esthétique est d’autant plus
visible dans ses derniers travaux et notamment dans son goût naissant pour les
paysages. On pourrait penser qu’elle s’éloigne de ses recherches précédentes,
cependant on peut considérer à la vue de ses travaux que le paysage c’est l’absence
ou la solitude. Guido sur les quais, Venise, Italie, 1998 est un exemple
de photographie reliant ses travaux précédents avec le paysage. Un personnage
solitaire pris de trois-quart dos contemple la brume bleuâtre qui envahit l’image,
au fond à gauche une lumière de balise perce la brume et répond au regard de
la silhouette.Chaque photographie de Nan Goldin témoigne de sa vie, de son identité,
quelques autoportraits jalonnent son œuvre et ne la mettent pas forcément à
son avantage, la photographie Nan un mois après avoir été battue, New
York 1984 en atteste. Cette photographie est un témoignage de sa relation tumultueuse
avec son conjoint de l’époque. Il existe souvent une liaison plus ou moins importante
entre le portrait et la biographie lorsque le portrait est formé par une accumulation
de portraits des mêmes personnes, en effet on peut suivre à travers ces images
le déroulement d’une vie. Cependant biographie et portrait diffèrent dans la
finalité, alors que la biographie raconte ce qu’une personne a fait, le portrait
présente ce qu‘est la personne ou le groupe portraituré. Les portraits de Nan
Goldin sont présentés sous la forme de Slide Shows accompagnés le plus souvent
de musiques qui ajoutent à l’image une ambiance. Ces musiques donnent un « état
d’esprit » aux personnages. Régulièrement augmenté par de nouveaux clichés,
ces slides shows ne sont pas des œuvres finies, ils sont réactualisés par Nan
Goldin qui peut ajouter ou supprimer des clichés et ne présentent pas ceux-ci
de manière chronologique mais en les reclassant pour établir de nouvelles relations
entre chaques images. Une photographie de Nan Goldin seul bien qu’elle puissent
être intéressante pour des raisons esthétiques ou en tant que portrait individuelle
perd une grande partie de son sens en étant présentée seule. C’est par l’accumulation
et la juxtaposition de ses séries photographiques que son œuvre fabrique le
mieux un portrait communautaire. J’utilise le terme de « fabriquer »
car la réorganisation de l’ordre de présentation des clichés introduit naturellement
une part frictionnelle dans son œuvre. Cette communauté, qu’elle portraiture,
est la communauté dans laquelle elle vit, elle en fait partie et à ce titre
elle s’identifie à cette communauté, il s’en suit que ses slides shows sont
aussi des autoportraits même si elle n'est présente que dans certaines photographies,
sa présence est effective dans la prise de vue et dans son immersion dans l’intimité
des personnes qu’elle photographie.