La mémoire, c’est la faculté de conserver et de restituer
des informations. Cette faculté n’est pas propre à l’homme, qui la partage avec
le monde vivant, c’est pourquoi il parait nécessaire de préciser de quel type
de mémoire on parle. L’hérédité génétique en tant que conservation et transmission
des informations nécessaires à la vie, peut être considérée comme une mémoire.
L’homme dispose de plusieurs niveaux de mémoire plus ou moins complexes. On peut
schématiser en distinguant trois niveaux de mémoire. Au niveau biologique, les
cellules et les tissus sont capables de mémoire. Le deuxième niveau de mémoire
correspond à la mémoire du système nerveux qui permet des acquisitions dont la
complexité correspond à celle des structures nerveuses intéressées, en même temps qu’elle
dépend des conditionnements et des apprentissages sensori-moteurs. C’est au niveau
moteur que se rattachent la plupart de nos habitudes consistant, par exemple,
à marcher, courir, manger, conduire un véhicule... Le troisième niveau est celui
de la mémoire dite représentative, la mémoire dont il plus généralement question
lorsqu’on utilise le terme de mémoire. Ce niveau est particulièrement complexe
dans la mesure où il fait intervenir des opérations mentales qui permettent de
se représenter des objets ou des événements en leur absence. Dans l’antiquité,
Simonide de Céos ( poète grec du Vème siècle avant J.-C.), avait étudié la mémoire pour
trouver une méthode de mémorisation. Sa méthode est basée sur des « lieux »
de mémoire. Elle consiste à transformer en images mentales ce qu’on doit apprendre
en les situant géographiquement par rapport à un itinéraire connu (telle rue,
telle maison). Par la suite cette méthode de mémorisation donnera lieu à d’innombrables
représentations de « lieux de mémoire » sous formes de gravures ou de
dessins architecturaux permettant de situer des images dans un parcours, dans
un lieu, de façon à pouvoir apprendre des textes ou d’autres objets de mémoire.
Pour se les remémorer il suffisait alors de refaire le parcours mentalement[1].
Il est intéressant de noter cette association entre la mémoire et un parcours,
à l’heure où nous parcourons la mémoire d’Internet ou celle stockée sur des disques
durs, des CD-ROM ou des DVD. La mémoire est aussi historique, elle est constituée
par notre histoire personnel et par l’histoire culturelle à laquelle on se rattache,
ainsi en plus d’un parcours à travers des lieux, c’est aussi un parcours à travers
le temps de notre histoire qu’il faut faire lorsqu’on fait appel au souvenir.
Cela ne signifie pas qu’il faille rester dans le passé, en effet lorsqu’on parcours
une mémoire, on réactualise un passé, on replace un passé dans le présent en direction
d’un futur. «C’est dans le passé que nous nous plaçons d’emblée. Nous partons
d’un « état virtuel », que nous conduisons peu à peu, à travers une
série de plans de consciences différents, jusqu’au terme où il se matérialise
dans une perception actuelle, c’est à dire jusqu’au point où il devient un état
présent et agissant, c’est à dire enfin jusqu’à ce plan extrême de notre conscience
où se dessine notre corps. »[2].
Lorsqu’on rappel un souvenir, un élément de mémoire, on le fait s’actualiser,
devenir présent, de la même manière lorsqu’on clique sur un lien d’un dispositif
interactif tel qu’un CD-ROM ou le Web, on actualise son contenu, on le rend présent
en même temps qu’on le présente.
[1] Un cas intéressant m’a été rapporté à ce sujet par
Gilles A. Tiberghien : un « surdoué » de mémoire était étudié
pour ses capacités hors du commun, lors d’un test de mémorisation d’une liste
de mots qu’il devait réciter dans l’ordre, puis dans l’ordre inverse et de nouveau
dans l’ordre, il oublia un mot. On lui demanda pourquoi avoir oublié ce mot
et il répondit qu’il ne l’avait pas vu, que ce mot était resté dans l’ombre,
comme s’il était passé devant sans le voir au détour d’un chemin.
[2] Henri Bergson, matière et Mémoire, Paris,
Ed. PUF, 1998, p.269.