Identité - altérité.

Emmanuel Levinas définit l’ipséité (le moi-même, le toi-même) comme présentation de soi par soi dans le visage, en deçà de toute représentation de soi. « Le visage n’est-il pas donné à la vision ? »[1] : c’est ainsi qu’il commence son introduction de la partie sur « le visage et l’extériorité » dans Totalité et infini, ce qui le place d’emblée sur le terrain phénoménologique sur lequel nous allons nous attarder. « L’abord des êtres, dans la mesure où il se réfère à la vision, domine ces êtres, exerce sur eux un pouvoir. La chose est donnée, s’offre à moi. Je me tiens dans le Même en y accédant. »[2] La première relation que nous ayons avec autrui est le contact visuel avec son visage (si nous excluons les moyens technologique de communications à distance tels que le téléphone, l’e-mail, etc.). Ce visage que nous percevons de prime abord nous fournit immédiatement des informations d’ordres identitaires.  Pour définir une identité il convient de préciser des référents :- Référents écologiques (structures de l’habitat ; relief ; climat ; influences du milieu de vie ; etc.)- Référents matériels et physiques (nom ; vêtements ; apparences physiques ; signes distinctifs ; etc)- Référents historiques ( filiation ; événements marquants ; tradition ou coutume, influences culturelles)- Référents culturels (valeurs ; religion ; mode de vie ; etc.)- Référents psychosociaux (profession ; statut ; âge ; sexe ; stéréotype et autres influences sociales ; etc.)Compte tenu des diverses référents, dont une liste non exhaustive a été citée ci-dessus, il existe de multiples manières de définir l’identité d’une personne ou d’un groupe. Dans le cas d’une œuvre peinte ou d’une photographie voire d’une vidéo, c’est la plupart du temps (mais pas exclusivement) les référents matériels et physiques qui sont mis en avant pour définir une identité. Le visage est un de ces éléments de référence le plus employé lorsqu’on parle de portrait.  Dès que l’on présente un visage, on présente autrui, on portraiture. Le visage est pour beaucoup, comme le disait Léonard de Vinci dans ses carnets, le « miroir de l’âme », mais ce miroir ne reflète pas uniquement l’intérieur d’une personne, il nous reflète nous-mêmes à travers lui. Il n’est pas une porte d’accès directe à autrui, c’est un surplus phénoménologique. « La présentation du visage – l’expression – ne dévoile pas un monde intérieur, préalablement fermé, ajoutant ainsi une nouvelle région à comprendre ou à prendre. Elle m’appelle, au contraire, au-dessus du donné que la parole met déjà en commun entre nous. »[3] La présentation du visage n’établit pas un rapport direct avec une intimité, ce que l’on perçoit devant un visage n’est pas réservé à nous-mêmes, cette perception de l’ordre du phénoménale regarde tout le monde et touche donc l’humanité tout entière. « La présence du visage – l’infini de l’autre – est dénuement, présence du tiers (c’est à dire de toute l’humanité qui nous regarde) [...]. »[4]. Même si on cherche une complicité devant le visage d’autrui en s’isolant, cette relation de visage à visage qui peut s’établir à l’écart des regards n’ouvre pas totalement autrui, car ce que l’on perçoit est perçu, a été perçu ou sera perçu par d’autre, il faut le dialogue et donc le langage en plus du visage pour créer la complicité avec l’autre et l’accès à son être, le seul visage nous renvoie immédiatement à l’humanité. Devant un visage, c’est notre propre visage qui nous est renvoyé. C’est pour cela que le visage nous touche, c’est son caractère universel qui le rend si proche de nous. Notre propre identité d’être humain nous est renvoyée. En effet dans le portrait, lorsqu’il y a une recherche d’une identité, c’est bien l’identique, le même qui est recherché, une identification à soi même à travers le portrait de l’autre. Cette identification peut s’opérer aussi bien face à une identité singulière que face à une identité de groupe.

[1] Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini, Paris, Ed. Le Livre de Poche, 2001, p. 203.
[2] Ibid., p. 211.
[3] Ibid., p. 233.
[4] Ibid., p. 234.