Le portrait est synonyme de recherche sur un sujet, il n’est
plus destiné à en faire l’apologie mais à en faire l’analyse. La recherche sur
le sujet donc sur l’identité est un moyen de s’analyser soi-même. De la même manière
l’autoportrait donc l’analyse de sa propre identité permet d’analyser les autres.
Le visage est le premier moyen d’accès à autrui. L’universalité du visage nous
permet un renvoie dans le visage de l’autre à nous même. Il est l’image-affection,
lieu de tensions, de questionnements et miroir de l’humanité. Si le visage nous
renvoie bien des éléments d’ordres identitaires, il ne définit pas pour autant
une identité dans sa totalité, il ne fait qu’en exprimer certains aspects. Il
ne définit pas non plus le portrait qui s’étend bien au delà du visage et d’une
simple « description » ou « représentation ». Le visage est
un moyen d’exprimer le portrait par les expressions qu’il comporte et par son
universalité, il n’est pas privé, mais donné à autrui, il est visible, a été visible
et sera visible. Cependant un visage pris dans une simple représentation unique
ne semble plus être suffisant pour exprimer véritablement un portrait d’une personne
bien que dans le langage courant le terme de portrait définisse encore une simple
représentation d’un visage dans son unicité soit par la peinture ou la photographie.
Comme nous l’avons vu à travers les œuvres de Nan Goldin et de Cindy Sherman qui
utilisent le plus souvent la photographie comme moyen d’expression, les portraits
qu’elles façonnent sont la résultante d’un ensemble de photographies, chaque photographie
prise individuellement est un fragment de portrait. Ces ensembles de portraits
pris dans la durée sont actualisés par chaque nouvelle prise de vue qui vient
compléter les portraits d’ensemble qui finissent par devenir un autoportrait des
artistes elles-mêmes. C’est l’identité de l’artiste qui se dessine derrière l’identité
de chaque cliché, que ce soit une identité par rapport à un groupe comme dans
le cas de Nan Goldin ou une identité fictive comme pour Cindy Sherman. Lorsque
le langage apparaît en plus du visage, il prend le dessus et c’est par le langage
que l’on accède à l’identité, le visage devient un accompagnateur du langage,
un premier accès au portrait que le langage complète, le langage comme moyen d’expression
d’une identité par rapport à une question prédéfinie dans ma vidéo « vidéo-portrait
sans-titre » et le langage comme instrument du dialogue dans l’œuvre de Luc
Courchesne. Ce dialogue que son portrait interactif ne cesse de définir comme
virtuel et qui n’est actualisé que par le spectateur qui se prête au jeu. Au contraire
de la biographie ou de l’autobiographie qui met en avant une historique, une histoire
de ce que le sujet a fait, le portrait met en avant ce qu’est le sujet. Ce qu’est
le sujet, c’est son identité. Il faut que le portrait soit sans cesse actualisé
pour s’accorder à l’identité. Cela ne signifie pas qu’une actualisation du portrait
balaye les portraits précédents, les portraits précédents sont tous des fragments
d’un seul et même portrait. L’identité ne se forme que parce qu’il y a la mémoire.
Cette mémoire qui accumule sans cesse nos expériences et sur laquelle nous nous
appuyons pour former notre identité. Cette mémoire, qui comprend aussi les mémoires
des autres que nous nous approprions, qui emmagasine une mémoire culturelle et
sociale, se modifie au cours du temps. Cette mémoire s’actualise sans cesse, elle
n’est pas un enregistrement linéaire telle une bande magnétique que l’on pourrait
mettre en lecture pour se souvenir, elle se réorganise, s’actualise et ne revient
vers nous que comme un ensemble de fragments de mémoires. Un portrait est aussi
une mémoire, pas une mémoire historique, une mémoire qui s’actualise chaque fois
que l’on fait appel à elle. Cette mémoire, qui s’actualise et se réorganise à
chaque actualisation peu mêler des éléments dit « vrai » à des éléments
fictifs. La mémoire est toujours imprécise, ces éléments fictifs sont souvent
le moyen de faire des liens entre diverses fragments et permettent la réorganisation
de celle-ci. On compare souvent le fonctionnement de notre mémoire à celle des
ordinateurs, et bien que cela ait permis des avancées dans la compréhension du
fonctionnement des parties réservées à la mémoire dans notre cerveau, il n’en
demeure pas moins que la manière dont les ordinateurs stockent de la mémoire est
toujours chronologique et linéaire, et que de plus celle-ci ne se réinvente pas.
Il n’en est pas de même pour nous, notre mémoire se réinvente, se réactualise
en permanence, c’est pour cela que la notion de fragment est importante. Quand
un portrait ne fait plus appel au visage comme moyen d’accès à une identité et
qu’il empreinte la voie de la mémoire comme dans « Immemory » ou « Barthes
par Barthes » le fragment permet l’actualisation nécessaire au portrait.
Il était déjà d’une grande importance pour des portraits faisant appel au visage,
mais devient indispensable pour des portraits s’appuyant sur la mémoire. Ces fragments,
qui ne se suffisent pas à eux-mêmes mais s’appuient sur tous les autres pour actualiser
le portrait, sont toujours incomplets, il en résulte la non finitude du portrait
qui bien qu’actualisé reprend vite une virtualité dans l’attente d’une réactualisation.