Virtuel.

Le virtuel et le possible ont en commun le fait d'être latent. Mais tandis que le possible est déterminé, le virtuel est indéterminé. Le virtuel est un problème qui appelle un processus de résolution : L'actualisation. Le virtuel est non calculable. Il n’est cependant pas l’opposé du réel, de même il doit être distingué du possible. Le réel n’est que la réalisation du possible qui est déjà constitué et n’attendait plus que l’existence. Le possible est prédéterminé à l’existence, le passage du possible au réel n’implique un véritable acte créateur.

Pour Leibniz, le possible ne diffère du réel que par son degrés de développement, le possible de Leibniz est un être incomplètement réalisé, il possède en lui-même une tendance à l’existence, chaque possible peut exister ou ne pas exister, le choix parmi les possibles sera effectué en appliquant " le principe de convenance " de manière que tous les possibles peuvent exister tant qu’il n’y a pas contradiction entre eux. "La chose peut exister, quoiqu’elle n’existe pas, nous prétendons de même pouvoir dire que les conditions requises peuvent exister, quoiqu’elles n’existent point "[1] Ainsi la réalisation donne existence à certaines possibilités au détriment des autres, il s’opère une sélection d’un possible à l’exclusion des autres, le possible recèle des formes non manifestées et la réalisation sélectionne.

La réalisation incarne une temporalité linéaire, mécanique, déterministe. Si on possède un objet matériel, celui-ci étant forcément unique, on exclue la possibilité qu’il soit possédé par quelqu’un d’autre (au contraire d’une information, comme nous le verrons plus loin).

Un programme informatique est basé sur le couple possible – réel. En effet un logiciel[2], comme son nom l’indique, fonctionne suivant une logique, cette logique traduit directement le couple possible – réel, la syntaxe de base étant :

"Si (expression)… Alors (réalisation=possibilité1)… Sinon (réalisation=possibilité2)…". Cette syntaxe montre bien ce qui a été dit plus haut, à savoir qu’en fonction d’un certain nombre de possibilité, un résultat sera obtenu à l’exclusion de tous les autres, ce résultat est la réalisation d’un possible qui devient réel à l’exclusion des autres, tous candidats à l’existence.

"Le texte est un objet virtuel, abstrait, indépendant de ou tel support particulier"[3]. Avec le texte c'est le problème du sens qui est posé. Le lecteur actualise le texte en l'interprétant et en lui donnant du sens. Cette interprétation est inventive et singulière, elle diffère d'une réalisation qui suppose une sélection parmi des possibles préétablis. Le lecteur actualise le texte en rattachant un paragraphe à un autre, à d'autres auteurs.

De la même manière, l'information ou la connaissance sont virtuelles. La consommation d'information ne la détruit pas et ne la soustrait pas à autrui. On peut céder une information sans la perdre (au contraire d'un objet matériel comme nous l'avons vu précédemment). La connaissance et l'information sont de l'ordre de l'événement ou du processus, déterritorialisées, détaché d'un ici et maintenant.

Le virtuel est comme une situation subjective, une configuration dynamique de tendances, de forces, de finalités et de contrainte que résout une actualisation. Il commande les actualisations sans les déterminer. Il est détaché de l'espace physique ou géographique et de la temporalité sans pour autant être totalement indépendant de l'espace-temps dans lequel il doit s'actualiser. La question de savoir si le virtuel est immatériel ou dématérialisé ne se pose pas, en effet si on supprime tout support matériel, le virtuel ne peut plus exister. Un texte est posé sur un support, livre, Internet, film ou autre, si tout support est éliminé, le texte n’est plus, il en est néanmoins indépendant. C’est bien la délocalisation du texte, de l’information ou de la connaissance qui lui donne cette puissance.



[1] Leibniz,  Le Théodicée, §172

[2] Définition du Petit Robert : "Ensemble de programmes, procédés et règles, relatifs au fonctionnement d’un ensemble de traitement de l’information."

[3] Pierre Lévy, Qu'est-ce que le virtuel ? , Paris, Ed. La Découverte, 1995, p.33.