Traduction, interface.

Marshall Mc Luhan dit que "les média sont des traducteurs"[1]. "[…]les technologies sont des moyens de traduire ou de transposer une sorte de connaissance sur un autre mode."[2] Avec les technologies numériques, les média tels que les CD-ROM, Internet, et autres media numériques, ont besoin de traducteurs.

Au contraire d'une sculpture ou d'une peinture, d'une performance ou de toute œuvre artistique mécanique, les œuvres numériques ont besoin d'une technologie de traduction. On pourra répondre que ce n'est pas nouveau, que le film a besoin d'un projecteur par exemple. Mais le film est un film sans le projecteur, le projecteur n'est qu'un moyen mécanique de l'agrandir et de lui donner du mouvement. Sur la bande du film, les images sont déjà réalisées, elles sont visibles, seul le mouvement est encore à l'état de possible et ne sera réalisé que lorsque la bande sera mise en mouvement et en lumière par le projecteur.

Les images, les vidéos, les sons, les textes numériques ne sont rien d'intelligible sans traducteur. Ces documents, œuvres ou informations sont tous codés en binaire. Tous sont traités de la même manière par l'ordinateur. C'est l'ordinateur qui les traduit. Sans l'ordinateur, pas d'image, pas de vidéo, rien qu'un support inerte. Tout étant stocké sous forme de bits sur le support d'enregistrement, il faut que l'ordinateur et son programme déchiffrent ces bits pour les rendre intelligibles d'une part et pour nous les rendre visibles d'autre part, ainsi l'ordinateur est l'indispensable interface entre les informations qu'il contient et l'utilisateur.

Le média numérique subit une double traduction : premièrement il est traduit de l'utilisateur vers le centre de stockage, deuxièmement, il est retraduit du centre de stockage vers l'ordinateur. L'œuvre numérique dépend donc toujours de l'interface ordinateur pour fonctionner, que l'œuvre soit complexe ou non, c'est par l'intermédiaire de ordinateur qu'elle est crée, et c'est par l'intermédiaire de l'ordinateur qu'elle est affichée.

Dans le cas des réseaux comme Internet, s'ajoute un traducteur supplémentaire, le modem ou modulateur - démodulateur qui traduit à son tour l'information pour la faire passer par les lignes téléphoniques ou autres moyens de transmettre l'information de l'ordinateur de l'utilisateur vers le serveur Internet et vis versa[3].

L'ordinateur est donc un traducteur d'information, mais il est aussi l'interface permettant d'interagir avec ces informations.

La notion d'interface est très importante pour ce qui concerne tous les traitements de l'information. C'est grâce à une interface que nous visualisons les pages Web, le Web permet au contraire du simple réseau Internet d'utiliser une interface graphique, les pages Web deviennent elles-mêmes des interfaces entre l'utilisateur et d'autres pages Web qui sont appelées par les liens qu'elles renferment. Cet environnement graphique  issu du premier interface graphique du Macintosh puis développé à son tour par Microsoft avec Windows et enfin par les créateurs de Linux, est à l'image des environnements graphiques de ces diverses systèmes d'exploitation. L'interface est la "jonction entre deux éléments d'un système informatique"[4]. Elle est l'habillage de l'information, le moyen de rendre l'information accessible de la mettre en page, de la valoriser.

L'interface est aussi le moyen de rendre la page Web interactive. L'interface graphique composée de lien comme un document hypertexte présente un aspect plus convivial et plus ludique que du simple texte, il s'impose désormais comme un élément à la fois constituant de l'œuvre et comme une interface entre le spectateur - utilisateur et l'œuvre.

L'interface peut même devenir l'œuvre elle-même. Prenons par exemple l'interface Starry Night de Alex Galloway & Mark Tribe, accessible actuellement sur le site http://www.rhizome.org. Cette interface entre l'utilisateur et une base de donnée textuelle constitue en elle-même l'œuvre, entièrement dépendante du réseau et des interactions que les utilisateurs entretiennent avec lui, elle se modifie en fonction du nombre de consultations de textes enregistrés dans une base de données, relie des textes entre eux en suivant des mots-clés et offre une sorte de représentation mouvante de l'espace virtuel du Web.

On peut lire sur le site la description suivante de l'œuvre :

"When a new text is read for the first time on the Rhizome website, it appears on StarryNight as a dim star.

Each time a text gets read again—by any Internet user around the world—the corresponding star gets a bit brighter. Over time, the page comes to resemble a starry night sky, with bright stars corresponding to the most popular texts in the database, and dim stars corresponding to less-popular ones.

Dragging the mouse over one of the stars brings up a pop-up list of keywords that the corresponding text shares with other texts. Select a keyword in the pop-up list to draw a constellation linking all the stars that share that keyword.

StarryNight depends on two pieces of original software: a set of Perl scripts that sort texts by keyword and record their individual hits, and a Java applet that filters this information to draw stars and constellations."

Toujours sur le site rhizome, on peut retrouver les interfaces Every Image, de Alex Galloway et Spiral de Martin Wattenberg qui sont aussi des interfaces à vocation d’œuvre . Ces œuvres fonctionnent à peu près suivant le même principe en utilisant un habillage graphique plu élaboré.

Il existe donc différents niveaux d'interfaces. A l'ordinateur comme interface primaire[5] entre l'information et nous, s'ajoutent d'autres types d'interfaces, le premier étant le navigateur nous permettant de visualiser les pages Web, le second pouvant être la page Web elle-même en tant qu'interface entre l'utilisateur et d'autres pages Web, on parle alors de "portail". L'information ou les autres pages pouvant n'être que des prétextes à la mise en place de l'interface quand il s'agit de donner à celui-ci le caractère d'œuvre artistique.

On finit parfois par se demander ce qui est le plus important dans certains sites artistiques, est-ce l'interface qui est l'œuvre ou bien est-ce l'œuvre qui est cachée derrière un concept obscur. Parfois la frontière entre l’interface en tant qu’œuvre et l’œuvre devient floue. Certains sites affichent clairement leur position en utilisant Internet comme simple moyen de diffusion, l'interface est alors mis en avant comme particularité interactive d’Internet permettant l'accès à de la théorie ou à des présentations d’œuvres sous forme d'informations. Dans ce cas ces sites artistiques sont du coté de la présentation d’œuvres et ne diffèrent d’un livre que dans l’apparence et par la manière dont on les consulte.



[1] Marshall Mc Luhan, Pour comprendre les média, Paris/Tours, Ed. Mame/Seuil, trad. Jean Paré, 1968, chap. 6.

[2] Ibid., p.76.

[3] cela reste vrai quelque soit le système de diffusion de l'information, sur câble, satellite ou ligne téléphonique numérique ou analogique, il y a toujours un traducteur qui transforme l'information pour la faire circuler dans les diverses moyens de communication.

[4] Dictionnaire le Petit Robert1

[5] je considère pour le cas présent que l'ordinateur est l'ensemble comprenant le calculateur et le clavier et la souris, ceci afin de limiter le nombre d'interface à décrire.