Numérique.

Internet est un transporteur d’information, cette information stockée sur de multiples ordinateurs est enregistrée sous forme numérique, plus précisément sous forme binaire, c’est à dire sous une suite de 0 et de 1 qui constituent le code, la matrice de l’information. Le binaire est la plus petite information manipulable par l’ordinateur.

Est simplement dit numérique ce qui relève des nombres (le terme peut être mis en opposition avec l'analogique). La numérisation d’une œuvre consiste donc à la réduire à une série de 0 et de 1, éléments seuls capables d'être compris par l'ordinateur (au niveau du microprocesseur de l'ordinateur, la traduction du 0 et du 1 est des plus simples : 0 le courant électrique ne passe pas, 1 le courant électrique passe, il ne s'agit rien de plus que d'actionner les interrupteurs électroniques que sont les microprocesseurs).

Telle est la technique utilisée, depuis 1980, par le disque numérique ou Compact Disc ( audio ou vidéo) : le signal visuel ou sonore est tout d’abord échantillonné, c’est-à-dire découpé à intervalles rigoureusement égaux. L’amplitude de chaque échantillon est ensuite mesurée, puis convertie en son équivalent binaire. Il suffit alors de lire la suite de ces équivalences pour recréer une traduction parfaite du message d’origine ou, plus exactement, sa reproduction à l’identique mais sous un autre langage. Le produit final est le même (ou presque), mais sa composition est différente. Dans le cas du disque numérique, la suite binaire est déposée, suivant une spirale, sur la surface du disque, et la lecture est réalisée par un faisceau laser, ce qui élimine tout contact entre le disque et la tête de lecture. Cette technique présente des avantages considérables, et il n’est pas étonnant qu’elle se soit à la fois développée et popularisée avec la vitesse que l’on sait. Tout risque d’usure du support de l'information est, a priori, exclue puisque tout frottement mécanique entre la tête de lecture et le disque a été supprimé. L’information est déposée, non pas sur la surface du disque, comme c’était le cas pour les disque vinyles (l'information sonore y était gravée de façon analogique, on peut d'ailleurs entendre la musique d'un tel disque en le faisant tourner et en plaçant dessus une feuille de papier en guise de tête de lecture, la feuille de papier vibre et reproduit alors le son, aucun traducteur n’est necessaire à l’écoute, il suffit d’un amplificateur), mais en profondeur, et est ainsi plus à l’abri de la poussière et des mauvais traitements. La qualité originale de l’enregistrement est préservée.

Le numérique offre ainsi une facilité inégalée de conservation, de consultation et de reproduction. Cette méthode permet tout d’abord de stocker une grande quantité d’informations sur un espace extrêmement réduit. Un disque numérique de 12 cm de diamètre peut contenir plus de 6 milliards d’informations élémentaires. On peut ainsi convertir n’importe quelle source audiovisuelle analogique en éléments numériques, que ce soit du son, de l’image, de la vidéo ou du texte. La numérisation du texte peut être regardée comme ayant des effets similaires, toutes proportions gardées, à ceux d’un autre saut technique : le passage du rouleau de papyrus aux codex de plusieurs pages en parchemin, plus pratique à manier. Le passage du texte au texte numérique, c’est à sous forme d’agrégats de simples informations permet d’en faciliter la consultation par l’utilisation d’index ou de moteurs de recherche. Paradoxalement, la lecture informatique des textes numérisés est également à l’origine d’une sorte de régression au rouleau de papyrus qui, comme aujourd’hui nos écrans d’ordinateur, n’offrait à la lecture qu’une portion du texte, supposait qu’il soit déroulé, interdisait qu’il soit feuilleté, et ainsi rendait moins commode la prise en main du texte et, par là même, la vision d’ensemble que peut en avoir le lecteur.

Mais là où le rouleau supposait un classement sur des étagères ou dans des boîtes rondes spécialement conçues à cet effet, avec des étiquettes fixées à leur extrémité pour en faciliter l’identification, le texte numérique présente l’immense avantage de se classer sans occuper d’espace et de se retrouver sans perdre de temps. Les moteurs de recherche permettent en effet en quelques secondes d’aller chercher, au sein de textes de plusieurs milliers de pages, la citation recherchée, ou d’en extraire systématiquement toutes les phrases dans lesquelles, par exemple, l’auteur a utilisé un mot particulier. Les bases de données permettent, de classer toutes les œuvres numérisées par genre, types, catégories ou auteurs, avec une très grande facilité. En effet, tout étant transformé en informations basiques, il devient aisé à l’aide de l’informatique de manipuler tout ou partie d’un document quel qu’il soit. L’accessibilité de l’œuvre numérisée est sans doute sa première qualité. Sa deuxième grande qualité ou défaut suivant les cas repose dans sa facilité de reproduction.

La facilité de reproduire tout ou partie d’un texte, par la vertu de cet outil que les utilisateurs d’ordinateurs ont appris à connaître sous le nom de « copier / coller », peut permettre de se constituer une sorte de bibliothèque parfaite des ouvrages ou des passages que l’on estime remarquables ou auxquels on tient plus particulièrement. Le résultat de la tâche pénible des copistes d’autrefois est aujourd’hui à la portée de tous. Le texte le plus dense, le livre le plus long peuvent être reproduits en un instant, et d’une seule pression de doigt, sans que la moindre erreur de reproduction ne puisse se glisser dans le nouvel exemplaire. Ces techniques de reproduction ne se limitent pas à l’écrit, mais peuvent être également applicables au son, à l’image ou à l’image animée. Le « copier/coller » s’applique aussi bien à un morceau de musique qu’à une photographie ou à une séquence de film, et la reproduction de ses œuvres de l’esprit, qui supposait autrefois un travail parfois long et fastidieux, se fait aujourd’hui, grâce au numérique, avec une facilité déconcertante. La reproduction de l’œuvre peut n’être que partielle : rien n’interdit de ne copier/coller qu’une partie du texte ou de l’œuvre pour l’insérer au sein d’une autre. Chaque œuvre est démontable en morceaux dont l’utilisateur est libre de choisir la taille, et libre de les réutiliser par ailleurs comme il l’entend pour construire, à partir de ces éléments, autre chose. Les liens hypertexte permettent de passer instantanément du document consulté à un autre qui le complète, l’illustre ou le contredit, et autorisent ainsi, selon le vocabulaire marin désormais universellement accepté, de naviguer ou de surfer entre les œuvres. Précisons que ces liens hypertexte peuvent mettre en relation, par le réseau Internet, des données stockées dans les immenses mémoires de milliers d’ordinateurs physiquement réparties sur toute la planète. « Le numérique autorise la fabrication des messages, leur modification et l'interaction avec eux, atome d’information par atome d’information, bit par bit.»[1]. Avec cet accès au plus petit élément constituant l’information, sa manipulation dans toutes les directions est rendue possible, ainsi tout média rendu numérique peut par traitement informatique être déconstruit, démonté afin d’être par la suite remonté, augmenté ou diminué, réagencé à loisir au bon vouloir de l’utilisateur.

Il va de soi que tout cela est valable pour l’exploitation effective des possibilités offertes par le numérique dans le cadre d’un traitement informatique. En effet la simple transformation d’un objet en numérique ne suffit pas à donner au numérique la virtualité  dont il peut bénéficier. Par exemple, la transformation d’un film ou son enregistrement sur cassette numérique ne lui donne pas un caractère plus libre qu’un film ou qu’une vidéo analogique. Ainsi le fait qu’un média soit codé en numérique n’est pas une condition suffisante pour le rendre malléable et lui donner un caractère virtuel. De la même manière, transférer du texte, de l'image et du son sur un CD-ROM confère à ce matériaux une certaine quantité de possibles et d'interactivité suivant les capacités et les choix de navigation offert par le programme de gestion et d'accès à ces données.

Tous les possibles stockés sur le disque sont virtualisés par l'utilisateur avec tout de même une réserve : dans la plupart des cas, tout est contenu à l'avance dans le disque.[2] 

En effet, une fois les informations enregistrées sur un CD-ROM, elles ne sont plus modifiables, c’est pourquoi le CD est utilisé surtout dans une intention d’archivage d’informations ou dans le cadre de la diffusion d’une œuvre terminée. En cela le CD-ROM est moins ouvert que le réseau Internet dans lequel tout est mouvant et tout s'appuie sur les ajouts et les retraits d'informations par les concepteurs de sites Web ainsi par les contributions des internautes.



[1] Pierre Lévy, L’intelligence Collective, Ed. La Découverte, Paris, 1997, p. 58.

[2] le cas d'un disque ne contenant pas tout est possible et consiste en l'ajout d'un programme interne générateur de contenu aléatoire, cependant les données générées proviennent tout de même d'une réserve de possibles stockés, les possibles ne sont réalisés que par le double choix de l'utilisateur et du générateur aléatoire, tout en sachant que la réserve de possibles initiaux est figée sur le disque. Un exemple d'œuvre fonctionnant avec un générateur de contenu est "Le générateur littéraire" de Jean-Pierre Balbe. Son œuvre produit un texte à partir de règles grammaticales et rhétorique sur un sujet donné. L'un de ses générateurs s'intitule "Barbe bleue" et est actuellement accessible sur Internet à l'adresse « www.labart.univ-paris8.fr » rubrique "Générateur Littéraire". Bien que le texte affiché ne puisse pas être prévu à l'avance par l'auteur, il n'en demeure pas moins que le texte produit résulte d'une combinatoire entre les différents éléments du dictionnaire permettant la génération du texte. Actuellement à l'état de projet, donc non fini, il possède une grande virtualité, si un jour l'auteur décide de finir l'œuvre, de la terminer, alors elle sera morte, et bien qu'une vie ne soit pas suffisante pour visualiser tous les textes qu'elle peut produire, sa réserve de possibles n'augmentant ou ne diminuant plus, elle ne possèdera plus ce qui la différencie d'une œuvre sur CD-Rom, c'est à dire la capacité de modifications des possibles qui la compose.