Le temps réel.

"Tout le monde nous accordera en effet qu'on ne conçoit pas de temps sans un avant et un après : le temps est succession. Or nous venons de montrer que là où il n'y a pas quelque mémoire, quelque conscience, réelle ou virtuelle, constatée ou imaginée, effectivement présente ou idéalement introduite, il ne peut y avoir un avant et un après : il y a l'un ou l'autre, il n'y a pas les deux ; et il faut les deux pour faire du temps."[1] On conçoit le temps avec un avant et un après, le temps est donc succession. Bergson définit le temps réel comme un temps qui a la propriété d'être perçu ou perceptible, par opposition aux temps fictifs qui peuvent ne pas être perçu par une conscience (les temps utilisés par Einstein dans la théorie de la relativité).

Cette notion de temps réel est quelque peu différente lorsqu'on l'utilise dans le cadre de l'information ou de son traitement par l'informatique. On désigne généralement par temps réel le fait d'accéder à une information au moment même de sa création ou de sa diffusion. Une sorte de simultanéité entre le temps où l'information est produite, et le temps où l'information nous parvient. En fait c'est la vitesse de transmission de l'information qui nous donne l'illusion de la simultanéité. En effet, comme le dit Bergson, "le temps est succession"[2], et malgré l'extrême célérité avec laquelle l'information part de sa source et parvient jusqu'à nous, il y a toujours succession du temps.

La vitesse nous cache cette succession, nous empêche de la percevoir, simule la simultanéité, de la même manière, lorsqu'on allume la lumière électrique un temps infinitésimal sépare le moment où nous actionnons l'interrupteur et le moment où l'ampoule électrique  s'allume effectivement. Ce temps est trop court pour que notre conscience le saisisse. La vitesse de la lumière étant extrêmement grande par rapport à la distance qui nous sépare de l'ampoule électrique, on peut considérer le temps qui nous sépare de l'éclairage comme nul. On se retrouve alors dans le cas du temps réel tel que l'expression est utilisée dans le cadre du traitement de l'information. Il en est de même pour les systèmes de vidéo surveillance ou les boîtiers de commande à distance tel que les télécommandes des téléviseurs ou autres appareils ménagers que nous utilisons, la réponse doit être immédiate (nous voulons qu'elle soit immédiate parce que nous sommes pressés, "mais que cache cette "situation", sinon la contraction du temps ? De ce temps réel qui efface toute durée au seul profit du présent, du direct de l'immédiateté d'un TEMPS ZERO…")[3] .

Sur Internet, le temps réel permet de communiquer avec une personne située à des milliers de kilomètres de nous, de la même manière que si nous étions à quelques centimètres. Le temps réel permet à d'autre de suivre les cours de la bourse au fur et à mesure de leurs progressions, de diriger à distance des robots, des systèmes d'alarmes, le chauffage de la maison de campagne avant même de partir en vacance, etc. Lorsque l'information véhiculée par Internet est une vidéo de Web Cam, cette succession du temps est à nouveau perceptible, la lenteur avec laquelle une image est remplacée par la suivante nous rend perceptible la succession du temps, une image disparaît pour laisser la place à la suivante avec un effet de ralenti, effet de ralenti d'autant plus perceptible que la vitesse maximum (actuellement) de défilement des images n'est que de 15 images par seconde et non pas 24 images par seconde comme dans le cas du moteur cinématographique ou de 25 images par seconde dans le cas de la vidéo (notre œil ne perçoit plus le défilement des images successives au delà de 24 images par seconde). Le temps est alors découpé et donné à voir ainsi. Mais tout ceci n'est que provisoire, la technique et l'évolution exponentielle de la vitesse de communication et de traitement de l'information par les machines va bientôt éliminer ce temps de retard qui nous rend la succession du temps perceptible et d'ici peu nous pourrons visionner des films de meilleure qualité sur Internet que sur nos téléviseurs hertziens.

Par l'intermédiaire d'un autre moyen de communication, la succession du temps est parfois perceptible : le téléphone. Le téléphone, ce moyen de communication qui nous rapproche d'un interlocuteur en nous permettant de converser à distance, qui semble replier l'espace de telle manière que la voix et l'ouïe soient à distance suffisante pour se répondre, nous laisse entrevoir la succession du temps lorsque la ligne est mauvaise, on entend alors un écho, ou bien un effet retard, la voix met un certain temps à nous parvenir, temps d'autant plus sensible quand on utilise une ligne en campagne, une ligne avec une modulation analogique de  la voix. Ce phénomène, dont on peut faire l'expérience facilement, est rendu possible par la relativement faible vitesse du son, en comparaison avec la vitesse de transmission de l'information électrique.



[1] Henri Bergson, Durée et simultanéité, Paris, Ed. PUF, 1998.

[2] Idem.

[3] Paul Virilio, La Procédure silence, Ed. Galilée, Paris, 2000, p.54.