Hypotexte.

Le paradoxe est qu’en pratique, la lecture hypertextuelle n’aboutit pas à davantage de compréhension mais bien plutôt à un déficit d’intelligibilité. Dans la multiplicité des parcours possibles, le lecteur ne sait quel parcours choisir et quel lecture entreprendre. Il ne sait comment s’orienter. Le phénomène de désorientation prouve que l’hypertexte est moins qu’un texte, qu’il présente une incapacité à constituer une textualité. L’hypertexte est un hypotexte.

Lorsqu'on passe d’une page à une autre, la nouvelle page remplace l’ancienne sans forcément l’enrichir. En effet, puisqu’il n’existe pas de document ou de page principale qui soit celle de référence et que toutes les autres doivent enrichir, chaque document lu actuellement est le document principal ; activer un lien pour trouver un nouveau document, c’est définir un nouveau document principal qui fait disparaître l’ancien. En conséquence la visée unitaire d’une lecture est impossible : par définition, une annotation telle qu'une note de bas de page possède dans sa structure une dissymétrie : un document secondaire annote un document principal. Dans l'hypertexte, il y a rupture de la dissymétrie : puisque tout lien est une annotation sans que le document source soit un document de référence, activer un lien correspond à déplacer la lecture d’un nœud du rhizome à un autre nœud au lieu d’enrichir le document de référence. Lire une annotation dans un texte classique présuppose que l’on revienne au texte principal avec en tête le contenu de l’annotation comme indication interprétative du texte principal ; l'hypertexte interdit ce type de retour par manque de document principal.[1]

Nous venons de voir que l'hypertexte devient un hypotexte en faisant perdre l'intelligibilité au texte, cette perte d'intelligibilité s'accompagne d'un gain de virtualité. En effet la visée unitaire du texte est démantelé par les renvois successifs des liens hypertextes, ce qui nous conduit à ne plus effectuer une lecture du texte mais un parcourt. Le parcourt étant laissé au libre choix subjectif de l'utilisateur, la puissance virtuel du texte s'en trouve renforcée.


[1] j'entend ici par hypertexte un texte qui soit réellement construit comme tel et non pas un texte ou document conçu de manière classique puis plus ou moins adapté sous forme d'un hypertexte par l'ajout de liens. Un tel document n'est rien d'autre qu'un document classique avec des rajouts interactifs. On trouve sur Internet une multitude de textes ou de documents qui ne sont qu'une transposition de textes existants en textes numérisés. Ces textes n'étants pas construits pour être des hypertextes, ils ne font pas bénéficier le lecteur de toute la virtualité d'un véritable hypertexte. Les rajouts de liens à ces textes correspondent aux notes de bas de page des livres classiques, avec un simple moteur mécanique permettant de les atteindre.