Copyright.

Propriété littéraire et artistique I.Loi n°57-298 du 11 mars 1957

Titre 1er -Des droits des auteurs

Art.1er . L'auteur d'une œuvre de l'esprit, jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral, ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par la présente loi. L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'une œuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa premier.

Art.2ème . Les dispositions de la présente loi protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Les implications du réseau sur les droits d’auteur sont multiples. Il était inconcevable que la maîtrise sans précédent que les techniques numériques donnent sur la matière de l’œuvre à partir de ses plus petits éléments constituants n’aille pas sans conséquences sur la portée même du droit d’auteur. Trois d’entre elles peuvent être plus particulièrement isolées.

La première implication du numérique sur le droit d’auteur est liée à la possibilité de multiplier à l’infini l’œuvre, sans pouvoir pour autant distinguer, à quelque niveau que ce soit, une copie de l’original (si original, il y a). La reproduction à l’identique devrait d’ailleurs conduire à parler de clonage plutôt que de copie.

A cette première atteinte au droit de reproduction, le mélange du numérique et de l’Internet ajoute un autre risque pour le titulaire de droits d’auteur en deterritorialisant et délocalisant les œuvres dans une circulation planétaire dans laquelle, du fait de la convergence des techniques, les frontières traditionnelles entre informatique, télécommunication, édition littéraire, musicale et audiovisuelle, ou œuvre artistique en général deviennent de plus en plus floues. Les limites des œuvres deviennent mouvantes et instables. L’évolution de la technique, à cet égard, semble modifier les mentalités. On ne peut préjuger des comportements et des goûts de consommateurs dans l’avenir, mais on peut constater que, pour l’instant, les nouvelles générations semblent nettement moins attachées au support de l’œuvre que les générations précédentes. L’importance du livre et de sa couverture, du disque et de sa pochette, qui motivait ou incitait parfois l’acquisition de l’œuvre, et enrichissait le plaisir de sa possession, semble désormais moins grande que par le passé : le contenu est presque seul à compter, et les plus jeunes générations ne voient aucune atteinte au droit de propriété intellectuelle attachée à l’œuvre, qu’elle soit musicale, écrite ou graphique, dans le fait de la stocker dans la mémoire de son ordinateur personnel. Les exemples les plus remarquables concernent la musique et les nombreux sites Internet qui permettent de télécharger des fichiers musicaux gratuitement. La chose est moins évidente en ce qui concerne les œuvres pour le réseau, ces œuvres n’étant pour la plupart des œuvres que parce qu’elles sont sur le réseau. Télécharger de telles œuvres ne constitue pas une appropriation complète de l’œuvre, celle-ci continuant à vivre sur le réseau. La télécharger revient donc uniquement à en capturer l’image à un instant donné.

 Si la mémoire d’ordinateur tend à devenir le support universel de l’œuvre, la présentation de l’œuvre tend à s’uniformiser : la magie du numérique a ceci de particulier précisément que le multimédia possède cette capacité à tout réduire sous la forme d'une présentation sur écran d’ordinateur en oubliant le plus possible la notion du support, c'est ainsi que les livres d'art se retrouvent sous forme de CD-Rom, les peintures sont regardées derrière la vitre froide de l'écran, les photos ne sont plus imprimées, etc. Or, l’historique du droit d’auteur montre qu’il est né du support. Parce que le support permet d’identifier l’œuvre ; parce que cette matérialisation de l’œuvre permet de cerner ainsi la portée de l’activité créatrice qui en est à l’origine. Parce que la signature de l’auteur l’inscrit dans la matière et dans le temps. On peut identifier tel période d’un peintre ou d’un sculpteur en analysant sa signature. La dégradation de l’œuvre peut de même l’inscrire dans le temps. Or dans le cas du numérique, l’œuvre déterritorialisé, délocalisé, indépendante du support, ne subit pas les affronts du temps.

Si la notion d’auteur s’estompe, l’œuvre n’est plus, quant à elle, parfaitement identifiable. L’hypertextualisation permet en effet, en deuxième lieu, de modifier, mélanger, transformer l’œuvre dont les frontières tendent à disparaître. L’unicité de l’œuvre et sa stabilité semblent remises en cause. Toutefois chaque innovation technique s’est accompagnée de l’apparition d’une nouvelle forme d’art. La technique numérique n’échappe évidemment pas à la règle, elle qui permet la création commune d’œuvres « en réseau » par plusieurs artistes. On le voit : présenter la relation entre le réseau Internet et l’auteur d’œuvre de l’esprit exclusivement en termes de risques serait réducteur et occulterait l’apport potentiel du réseau pour la création elle-même. Le droit d’auteur ne doit pas, à cet égard, restreindre les nouvelles possibilités, encore largement inconnues ou méconnues, qui s’offrent aux auteurs. Le droit d’auteur a toutefois, dans le passé, démontré la capacité d’adaptation dont il pouvait faire preuve face à l’apparition de nouvelles techniques de créations.

Une mise en perspective permet à cet égard de relativiser l’importance de la « révolution » numérique en ce qui concerne la notion de droit d'auteur : certes, l’œuvre est facilement copiable, mais cette facilité rappelle celle ouverte, en son temps, par la photocopieuse, ou la cassette audio. Rappelons-nous les indignations soulevées par la mise sur le marché de la cassette audio qui permettait de reproduire ou d'enregistrer n'importe quelle source audio, toutes les maisons de production musicale pensaient alors que c’était la fin des droits d’auteurs, avec la mise sur le marché du CD inscriptible, ce fut presque la même indignation…

Certes , l’œuvre est volatile, mais cette capacité à être transformée était déjà celle de la photographie ; certes encore, l’œuvre est dématérialisée, mais pas plus que ne l’est la musique diffusée à la radio. La numérisation de l’œuvre ne doit pas laisser craindre la désagrégation de ses frontières, et le droit d’auteur doit pouvoir s’appliquer, sans doute aucun, à l’œuvre numérique. Mais la souplesse de l’œuvre numérique en constitue précisément, au regard du droit d’auteur, la principale faiblesse.

Les comparaisons avec les évolutions précédentes du droit d’auteur ne doivent pas nous induire en erreur : jamais une technique n’a autant facilité la copie et la transformation de l’œuvre, qu’elle soit écrite, musicale ou en images. Les emprunts à l’œuvre numérisée ou numérique peuvent être quasiment indécelables. C’est par exemple le cas, beaucoup plus fréquent qu’il n'y paraît, de l’utilisation d’un morceau musical numérisé pour en faire le fond sonore d’une autre chanson de variété. Des bibliothèques de sons numériques sont déjà disponibles (sur Internet ou même dans les rayons des grands magasins de musique sur CD), dans lesquelles il est particulièrement facile de sélectionner des échantillons de mélodies, de rythmes ou d’accompagnements. Si les emprunts ont toujours existé, la composition de demain ressemblera-t-elle à une « écriture du collage ». Certains artistes contemporains, adeptes du mixage et du collage profitent de ces techniques du collage sur ordinateur à l'image de leurs aînés Cubiste ou Dadaïstes. 

La modification de l’œuvre est tout aussi facile. La conjugaison entre l’Internet et les techniques numériques permet un accès à l’information pour un coût minime indépendant de la distance réellement parcourue par les données qui aboutissent à notre ordinateur. L’œuvre dématérialisée, malléable à souhait, n’est plus réellement situable dans l’espace. « L’internaute » tente de « naviguer » sur le « réseau » pour la localiser, ou des « moteurs de recherche » peuvent le faire à sa place. Repérée, l’œuvre s’affiche sur l’écran de l’ordinateur-terminal, et est évidemment ailleurs, sur les câbles du réseau, dans la mémoire de l’ordinateur serveur. Les terminaux peuvent ainsi permettre la diffusion en ligne d’ouvrages complets, d’images ou de musique, de vidéos.

Or, la numérisation nous permet, à partir des sites visités, de ne pas nous contenter d’une simple consultation des documents, mais nous permet de se les approprier en les « téléchargeant », ce qui signifie techniquement que nous importons l'œuvre, nous importons, au moyen de voies téléphoniques, la série numérique de données et nous la recopions intégralement dans la mémoire de notre ordinateur.

Certains artistes mettent à profit ces particularités du numérique pour la création de leurs œuvres. Le 17 Août 2001, j’ai reçu par e-mail la lettre d’information du site http://www.rhizome.org  suivante :

Michael Mandiberg has scanned photographs shot by noted artist Sherrie Levine in the late 1970s, taken of black and white documentary photographs of Depression-era Alabama sharecroppers originally photographed in 1936 by the legendary Walker Evans. Mandiberg has posted his digital photos, essentially reproductions of reproductions, on two Web sites he has created: AfterSherrieLevine.com and AfterWalkerEvans.com. The public is prompted to download and print Mandiberg's third-hand images along with a "certificate of authenticity" -- stating that the re-appropriated photographs are genuine Mandibergs. Printed out at 850 dpi, they have the same resolution as the Levine photographs, yet look almost exactly like the original Evans images. This conceptual work of net art forces us to question how we choose to value an image -- or not.

On peut donc télécharger sur les deux sites de cet artiste les reproductions de reproductions de photographies de Walker Evans ou de Sherrie Levine. Peut importe que l’on choisisse l’un ou l’autre des auteurs originaux concernés, les photographies de Sherrie Levine étant des reproductions de photographies de Walker Evans, on retrouve donc sur les deux sites de Michael Mandiberg, les même photographies reproduites cette fois numériquement. On peut donc récupérer les images, les imprimer avec la qualité d’origine et même avoir un certificat d’authenticité se rapportant à l’image imprimée, les certificats ne différent que par l’origine prétendue de l’image (Walker Evans ou Sherrie Levine).

En fait, l’opération de téléchargement s'effectue dès la connexion au réseau, toutes les pages Web visualisées commencent par être téléchargées avant même d'être affichées. L’œuvre est alors « physiquement » présente dans l'ordinateur de l'utilisateur. Michel Mandiberg n’utilise dans ce travail rien de plus que les propriétés fondamentales des objets numériques sur Internet. Du moment qu’il met des images sur un serveur Web et que des utilisateurs se connectent sur ce serveur, tous les utilisateurs vont télécharger les images qu’il contient, de plus tous les utilisateurs vont avoir sous forme de fichiers numériques exactement la même image, chaque utilisateur aura un clone, donc un original de Mandiberg. Ces images seront tout de même singularisées par le certificat mis en ligne par l’auteur, qui tente de récupérer son autorité par ce moyen. Il tente de récupérer son autorité, car en réalité, ce sont les utilisateurs qui lui rendent son autorité en téléchargeant le certificat d’authenticité et en le remplissant . Par ce moyen, l’œuvre redevient unique pourvue que soit respectés les termes du certificat (les dimensions de l’image imprimée et encadrement) . Mais ce certificat a ceci de particulier  qu’il délègue une partie de l’autorité de l’œuvre à celui qui la télécharge. En effet, la signature portée sur le certificat n’est pas celle de Michel Mandiberg mais celle de l’utilisateur qui devient par ce fait utilisateur - auteur et spectateur de l’œuvre.